Le 12 juin 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est fait remarquer en rejetant les demandes de la société Château PETRUS à l’encontre d’une société de négoce et de ses gérants concernant l’utilisation d’étiquettes de vins comportant les mentions PETRUS LAMBERTINI et « 2nd Vin ».
Il était reproché aux prévenus d’avoir excessivement mis en évidence sur leurs étiquettes de vin la mention « PETRUS LAMBERTINI », au détriment des autres éléments de la marque « COUREAU & COUREAU […] MAJOR BURDIGALENSIS 1208 », qui apparaissaient en caractères fins au sein d’un symbole religieux, accompagnés de la mention « 2nd vin » alors même qu’ils n’ont jamais commercialisé de premier vin. Le consommateur moyen étant nécessairement amené à penser que ce vin serait le second vin du Château PETRUS.
Une telle pratique serait, selon le Château PETRUS, trompeuse et de nature à créer une confusion à son préjudice.
Le Tribunal correctionnel de Bordeaux a reconnu les prévenus coupables des faits reprochés.
Cependant, le 3 avril 2018, la Cour d’appel de Bordeaux en a autrement décidé et, infirmant ce jugement, a relaxé les prévenus, estimant que leurs étiquettes étaient trop différentes de celles du Château PETRUS pour constituer une pratique commerciale trompeuse quoi que les prévenus aient fait une « utilisation habile de la marque qu’ils ont déposé dans le but manifeste d’attirer l’attention du client » (page 19 de l’arrêt). La Cour de cassation a étonnamment approuvé ce jugement de la Cour d’appel au motif que le Château PETRUS n’aurait pas démontré que le consommateur moyennement averti allait confondre le vin des prévenus avec le sien.
Cette décision vient clôturer une bataille judiciaire qui a fait couler beaucoup d’encre, et ce, peut-être à tort. La presse s’est émue de cette décision, considérant que celle-ci signifiait que le nom PETRUS, pourtant notoire, n’était plus protégé. Or, en lisant la décision de plus près, on s’aperçoit qu’en vérité, elle constitue une décision destinée à rester isolée sans avoir vocation à bousculer la jurisprudence majoritaire que l’on connait en la matière, en particulier celle qui traite des marques de grandes notoriétés.
En effet, on ne manquera pas d’observer qu’ici la Cour est allée à contre-courant des critères classiquement retenus par les juridictions civiles dans l’appréciation d’une pratique commerciale trompeuse.
Afin de prouver de tels agissements, il devait être démontré une confusion, ou un risque de confusion, pour le consommateur moyen de vins, entre les étiquettes des vins du Château PETRUS et celles des prévenus, en comparant globalement les étiquettes en cause. Le consommateur de référence en matière de vin est le consommateur moyennement averti, lequel est, selon les
juridictions européennes, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. En aucun cas, il ne peut s’agir du consommateur de grands crus (Cour de cassation, ch. Com., 6 septembre 2016, RG N°14-25692). Or, force est de relever l’appréciation singulière que la Cour d’appel a faite ici du consommateur « moyennement averti ».
En effet, aux yeux de la Cour, celui-ci devait être suffisamment vigilant et éclairé pour savoir que les vins du Château PETRUS sont nécessairement des vins de l’appellation « Pomerol » et que le Château PETRUS ne commercialise pas de « second vin ». Or, il semble peu probable que le grand public consomme quotidiennement du vin du Château PETRUS et soit ainsi familier de ses spécificités.
Les juges ont également considéré que l’utilisation de « PETRUS » ne pouvait être sanctionnée en l’espèce en raison de l’association faite de ce terme « PETRUS » avec le nom « LAMBERTINI » dans une police de caractère pourtant identique.
Au regard de ces éléments, la Cour en a déduit qu’il n’existait pas de confusion entre les étiquettes sans pourtant écarter l’existence d’un risque de confusion entre celles-ci. Or, selon une jurisprudence bien établie des juridictions civiles, le seul risque de confusion suffit à qualifier une pratique commerciale de trompeuse.
De surcroit, on ne manque pas d’observer que la décision de la Cour d’appel se fonde quasi essentiellement sur la différence importante de prix existante entre les bouteilles de vin « PETRUS » et les bouteilles de vin des prévenus alors que, la jurisprudence le rappelle souvent, ce n’est pas là un critère pertinent suffisant, a fortiori pris isolément, pour apprécier le risque de confusion (Cour d’appel de Bordeaux, 5 mai 2015, RG N°14/00275, Cheval Blanc).
La Cour d’appel a enfin souligné que si la présentation particulière de la marque des prévenus avait « pu convaincre certains consommateurs qu’il aurait été difficile de séduire sans elle », cela n’avait pas causé de préjudice au grand nom de « PETRUS » ou au Château PETRUS dont la clientèle est très différente de celle des prévenus. Classiquement, devant les juridictions civiles, les marques notoires bénéficient pourtant d’une protection élargie : la renommée d’une marque contribuant à renforcer le risque de confusion entre deux signes. Paradoxalement, les juges ne s’y attardent pas une seconde tout en relevant l’objectif manifeste des prévenus d’attirer une clientèle sur ce nom d’une « manière habile ».
Le plus étonnant reste encore, à notre avis, d’avoir porté cette affaire devant les juridictions pénales, lesquelles, on le sait d’expérience, ne constituent pas le forum de choix pour de telles affaires !
En effet, pour débattre de ces notions parfois très subtiles, nos tribunaux spécialisés, sur le plan civil, dans le domaine de la propriété intellectuelle, auraient sans aucun doute fait une appréciation différente de la situation, sur la base de l’ensemble des critères forgés au fil de nombreuses décisions tant françaises qu’européennes, comme ils l’avaient déjà fait pour d’autres grands crus tels que Cheval Blanc ou Château Beychevelle.
Car, de toute évidence, les marques de grande notoriété ne sauraient être traitées sur le même plan que des marques moins connues. Cette décision ne devrait donc rester qu’une mauvaise parenthèse sur le long chemin judiciaire déjà parcouru, qui, lui, s’attache à protéger sérieusement nos marques les plus prestigieuses.
Encore faut-il ne pas se tromper de juridiction !
Marina Cousté – Avocate – Associée Cabinet Simmons
& Simmons LLP – Membre de l’AIDV.